Japh… je
n’ai jamais vu une pierre me regarder… mais
tu ressembles à celui qui était là, laissé comme toi au bord du chemin dans ce
jardin d’acclimatation aux buissons de moissine. Tes yeux changeaient d’aurore
ou d’azur selon la profondeur du temps et du ciel, faisant paraître une tache
d’or ou d’argent selon la rigueur des schistes ou de l’ardoise. Et puis d’eux
s’élevait une interrogation jamais assouvie, comme l’on se pose la question de
savoir s’il faut vivre ou non selon la loi des hommes de ce monde. Tes yeux se
posèrent à l’endroit où mon regard caressait le sol de larges pans balayés.
Je ne voulais pas partir. Au soleil
disparaissant nous avions laissé l’intimité de la nature qui se couvrait
d’escarres gangreneux et de gale, l’ombre était pour nous plus que l’ivraie
notre nourriture, et les buissons imbrifuges nos abris coutumiers.
-
« Comment dès lors que ces vignes nous
encerclent retrouver notre chemin jusqu’à la Vie ? Ici je suis de pierre.
Je suis de ce mur et regarde tomber la pluie – ça me fait du bien – et je
regarde monter jusqu’à moi chaque jour les villageois courbés sous leurs
fardeaux inavoués. Et maintenant, dans mon impassivité où je triomphe de toi,
je te regarde à ton tour gravir lentement mes marches brûlantes ».
Japh, ta parole pénètre mes sens comme une onde maléfique s’insinue dans la matière afin de la détruire. Es-tu de ces néréides embusquées de qui même les sirènes parlent avec une frayeur consommée ? ou de ces nénuphars gigantesques, abri recherché des crapauds lépreux ?
- « O toi qui t’approches, dis-moi quel démon t’envoie me recouvrer ! ne t’ai-je point dit que ma surface est désormais glissante comme l’élément visqueux où se plaisent les sangsues et les méduses ; ici ma place n’est plus la tienne, je ne puis t’offrir de mon corps qu’un siège brûlant ».
Japh… n’as-tu pas entendu ce matin chanter l’oiseau du rêve et de la folie ? c’est lui le messager de ta douleur auprès de moi. Et, comme je sortais sans bruit de ma chambre je le vis plus suppliant et plus hardi que d’habitude se précipiter sur mon passage en sifflant la plus mélancolique de ses chansons. Je sus alors ce que tu avais fait de ton corps et ta pétrification volontaire que déjà se redisent dans le monde les hommes de bon conseil. Japh… n’entendras-tu jamais un jour les pleurs sauvages des pierres amoureuses ? Tel est mon émoi qu’aujourd’hui j’associe mes larmes aux larmes d’huile de mes sœurs, pierres extatiques !
- « J’entends. Viens quand même sur mon sol qui transpire et se couvre de ses plus belles couleurs. Pierre changeante… que serais-je demain si tu ne viens t’asseoir dans les brèches de mon corps adoucir les anfractuosités douloureuses qui versent un sang qui s’épuise lentement, si tu ne viens enfin ressusciter mon corps ? J’apaiserai pour toi le bouillonnement des fleuves brûlants et des geysers de feu qui s’échappent de mes yeux. Viens quand même fouler mes côtes meurtries, baigne-toi dans le ruissellement de mes larmes… Larmes de pierre au contact plus doux que toute autre liqueur mais bien plus acide que l’acide sulfurique… »
J’aime et déteste tes larmes qui arrachent et tuent tout ce qu’elles touchent ou tout être qui les recueille. Les larmes de pierre sont aussi comme l’alcool le plus fort qui s’immisce dans le sang et en tue la substance.
Mais pourquoi différer tant l’heure de ta délivrance ?
Déjà ta tête se détruit à la pierre et tes membres se disloquent sous l’érosion galopante. N’attends pas davantage que le ciel se couvre des nuages de l’âpreté funeste. Au loin retentit l’orage qui aura raison de tes membres dont la fine couverture de terre s’arrachera pour laisser libre cours à l’office destructeur des éléments ; refuseras-tu encore longtemps le retour à la vie ?
Qui détournerait les yeux de toi, oh sacrificatrice de la grande Ephèse ? Qui supportera et vaincra la tentation que tes charmes offrent volontiers à chaque occasion ? Mais moi je cherche pourtant le repos de l’âme, et où trouverai-je la félicité si ce n’est dans la pierre ?
Japh, ta parole pénètre mes sens comme une onde maléfique s’insinue dans la matière afin de la détruire. Es-tu de ces néréides embusquées de qui même les sirènes parlent avec une frayeur consommée ? ou de ces nénuphars gigantesques, abri recherché des crapauds lépreux ?
- « O toi qui t’approches, dis-moi quel démon t’envoie me recouvrer ! ne t’ai-je point dit que ma surface est désormais glissante comme l’élément visqueux où se plaisent les sangsues et les méduses ; ici ma place n’est plus la tienne, je ne puis t’offrir de mon corps qu’un siège brûlant ».
Japh… n’as-tu pas entendu ce matin chanter l’oiseau du rêve et de la folie ? c’est lui le messager de ta douleur auprès de moi. Et, comme je sortais sans bruit de ma chambre je le vis plus suppliant et plus hardi que d’habitude se précipiter sur mon passage en sifflant la plus mélancolique de ses chansons. Je sus alors ce que tu avais fait de ton corps et ta pétrification volontaire que déjà se redisent dans le monde les hommes de bon conseil. Japh… n’entendras-tu jamais un jour les pleurs sauvages des pierres amoureuses ? Tel est mon émoi qu’aujourd’hui j’associe mes larmes aux larmes d’huile de mes sœurs, pierres extatiques !
- « J’entends. Viens quand même sur mon sol qui transpire et se couvre de ses plus belles couleurs. Pierre changeante… que serais-je demain si tu ne viens t’asseoir dans les brèches de mon corps adoucir les anfractuosités douloureuses qui versent un sang qui s’épuise lentement, si tu ne viens enfin ressusciter mon corps ? J’apaiserai pour toi le bouillonnement des fleuves brûlants et des geysers de feu qui s’échappent de mes yeux. Viens quand même fouler mes côtes meurtries, baigne-toi dans le ruissellement de mes larmes… Larmes de pierre au contact plus doux que toute autre liqueur mais bien plus acide que l’acide sulfurique… »
J’aime et déteste tes larmes qui arrachent et tuent tout ce qu’elles touchent ou tout être qui les recueille. Les larmes de pierre sont aussi comme l’alcool le plus fort qui s’immisce dans le sang et en tue la substance.
Mais pourquoi différer tant l’heure de ta délivrance ?
Déjà ta tête se détruit à la pierre et tes membres se disloquent sous l’érosion galopante. N’attends pas davantage que le ciel se couvre des nuages de l’âpreté funeste. Au loin retentit l’orage qui aura raison de tes membres dont la fine couverture de terre s’arrachera pour laisser libre cours à l’office destructeur des éléments ; refuseras-tu encore longtemps le retour à la vie ?
Qui détournerait les yeux de toi, oh sacrificatrice de la grande Ephèse ? Qui supportera et vaincra la tentation que tes charmes offrent volontiers à chaque occasion ? Mais moi je cherche pourtant le repos de l’âme, et où trouverai-je la félicité si ce n’est dans la pierre ?
« Non je ne jouerai pas avec toi ma dernière chance d’exister. Fuis maintenant car je sens que le feu recommence son agitation infernale que même la foudre n’égale pas en splendeur. Enfin, fuis si tu ne veux pas me rejoindre dans ma prison bénie, comme un fragment de calcaire dans la montagne. Et, du reste, la pellicule de lichen qui m’enveloppe maintenant met un terme à tous nos liens. Fuis plus loin que l’horizon afin d’oublier toutes choses anciennes, toutes choses perdues au plus profond de ton cœur.
- Et moi, je ne te reverrai sans doute jamais plus, car l’érosion commence déjà son office destructeur, et ma surface se couvre d’ecchymoses rouges et jaunes qui flambent au soleil comme la flamme promise des autels divins ».
Japh s’est endormi pour une toute autre
éternité, si petite, si menue dans son grand silence pâle, que chacun s’y
serait laissé prendre. Et, rocher plus que montagne, c’est-à-dire pierre
mouvante plus que sol immuable, Japh s’est laissé conduire jusqu’en cet étroit
oubli où même l’esprit semble absent. Ni son corps, ni son âme n’agissent plus,
il semble inerte, comme un mort. Son long corps, qui n’est plus que chrysalide
minérale, gestation d’enfer épineux au possible des poils acérés de ses
défuntes pensées, repose en un lieu qui peut paraître éternel à quiconque n’a
jamais pénétré dans l’inconscient. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, et tel
un lama tibétain subissant le rite de la Grande Mort, Japh explore de son
immobilité les domaines inaccessibles à tout être d’essence impure.
ª
Alors, Japh, tu me parles en une musique
infinie, pareille aux plus beaux chants que d’inorganiques instruments semblent
faire jaillir de nulle part.
C’est toute la musique dans son ensemble que
j’écoute là, dans sa multitude instrumentale organisée en une pluie de sons
caressant l’espace et pénétrant dans la profondeur des os, dans la moelle des
os, seul langage véritablement divin, c’est la parole du prophète exprimée
purement dans la pierre.
O Japh, Japh, pierre musicale dont se dérobe la vie, faite pour résister aux corps des hommes, tu m’es plus cher que toute apparence de la vie et des hommes.
J’ai vu Japh durant cette absence et ses yeux étaient à demi-clos, remplis de vin rouge – car je n’étais pas sûr que cela fût du sang -. Le reste uniforme de son corps partagé entre l’étoffe suffocante qui le recouvrait et ses mains péniblement tordues, ses yeux rougis, ses mains rougies et ses draps épanouis, j’ai vu Japh en exaltation.
Bien m’en prit de garder le silence le plus parfait devant sa dépouille évanescente, car dans cet état de rien, nul ne peut savoir au juste où se situe la rupture finale d’avec le monde des vivants. Et, de plus, un certain remuement de ses lèvres, je devrais dire à l’endroit habituel où se trouvent les lèvres, car il n’en possédait point de semblables aux nôtres, un mouvement à peine perceptible me mît en arrêt, car j’attendais de lui de grandes révélations.
Harvey Littleton: Blue green ribbon forms 1981 |
O Japh, Japh, pierre musicale dont se dérobe la vie, faite pour résister aux corps des hommes, tu m’es plus cher que toute apparence de la vie et des hommes.
J’ai vu Japh durant cette absence et ses yeux étaient à demi-clos, remplis de vin rouge – car je n’étais pas sûr que cela fût du sang -. Le reste uniforme de son corps partagé entre l’étoffe suffocante qui le recouvrait et ses mains péniblement tordues, ses yeux rougis, ses mains rougies et ses draps épanouis, j’ai vu Japh en exaltation.
Bien m’en prit de garder le silence le plus parfait devant sa dépouille évanescente, car dans cet état de rien, nul ne peut savoir au juste où se situe la rupture finale d’avec le monde des vivants. Et, de plus, un certain remuement de ses lèvres, je devrais dire à l’endroit habituel où se trouvent les lèvres, car il n’en possédait point de semblables aux nôtres, un mouvement à peine perceptible me mît en arrêt, car j’attendais de lui de grandes révélations.
Dors : le ciel n’est pas perdu
L’ombre embaume : la terre et les épines
Glisse plus profondément dans le sol
Et la sève te naîtra
Le silence t’accable de reproches
T’épuiseras-tu jamais un jour ?
Encore et toujours tu vivras
Epuise ton corps : il n’est pas lourd
Et si la nuit t’emporte
Je serai près de toi
Dors : le silence s’achève
L’ombre glisse sur l’aube naissante
Fine lueur d’espoir au réveil
Ton corps se reconnaîtra
Une aussi obscure présence s’abstient
d’entretenir avec la mort le plus petit discours. J’ai senti jusqu’au fond de
mon corps la souffrance de l’inaltérable oscillation de mon âme, suivant Japh
comme rédempteur absolu ; qui fut plus capable que lui, d’ailleurs, de
pourvoir à ce privilège des mortels ?
L’audace d’ouvrir un seul instant l’œil par delà ce qui est nôtre revient à perdre irrémédiablement l’équilibre de l’esprit.
En fait !
C’est jusqu’à la limite où la lie se change en vin que mon esprit vagabonde, jusqu’aux confins de l’histoire puisqu’en ces lieux le temps, comme ici d’ailleurs mais vous ne le savez pas, est parfaitement inconnu. Japh me prit donc, moi pauvre bâtard de l’esprit et du corps, en son milieu vorace et sans pitié auquel, par le truchement de longues analyses scripto et calligraphiques, j’allais appartenir enfin, laissant dans la consternation la plus totale mes contemporains insatisfaits.
L’audace d’ouvrir un seul instant l’œil par delà ce qui est nôtre revient à perdre irrémédiablement l’équilibre de l’esprit.
En fait !
C’est jusqu’à la limite où la lie se change en vin que mon esprit vagabonde, jusqu’aux confins de l’histoire puisqu’en ces lieux le temps, comme ici d’ailleurs mais vous ne le savez pas, est parfaitement inconnu. Japh me prit donc, moi pauvre bâtard de l’esprit et du corps, en son milieu vorace et sans pitié auquel, par le truchement de longues analyses scripto et calligraphiques, j’allais appartenir enfin, laissant dans la consternation la plus totale mes contemporains insatisfaits.
Routes amères couvertes de feuilles rouges
Passages éteints aux charbons luisants
J’ai laissé mes mains s’emplir de poussière
Que diable, l’audace est impuissante
Car la nuit envahit l’histoire
Et l’aube ne vient pas encore
L’aube fera parler les hommes
Comme le vent hurle sur la montagne
Souffle puissant de roche et de glace
Ainsi parle Japh que l’extase devant le colchique fait demeurer
de nombreuses heures à méditer sur la valeur matérielle de l’organisme,
puisque, m’a-t-il confié, la cellule prend ses forces cohésives dans le
déroulement de ses procédés chimiques, d’osmose et d’infrastructure. Mais que
le souffle de vie s’abandonne et voici les éléments retourner à leur nature
primitive qui est l’essence même de toutes choses non encore avouées. De cette
matière naît et se défait toute nature vivante. Mais le corps de Japh
appartient à la pierre qui s’érode lentement, solution de continuité dans le
monde éphémère des choses qui nous entourent.
Japh au péril de sa vie a conquis une place beaucoup plus
importante que la nôtre, plongeant en lui-même jusqu’à la disparition de son
corps.
Amertume de l’épuisement, par ses exercices physiques
Japh se soustrait de plein gré à la fantaisie d’exister, puisant sa présence
dans le fait même que l’on parle de lui ; il acquiert ainsi le pouvoir
spécial qu’il met en valeur par son abstention à l’utiliser.
Japh, combien de fois t’ai-je vu triompher devant la fleur
éventrée et le vieillard passant au nom de rien devant l’orifice béant des
jardins éclos !
Pourquoi rétribuer Japh de ses perpétuelles actions
maléfiques trouvant leur propre récompense dans le fait d’œuvrer socialement
vers l’immobilité totale, teintée de rouge à la consternation du monde
bouleversé qui va venir ?
Relâchant sa perplexité muette où s’ingère la vermine
dévorante et maladive d’une fièvre composée d’erreurs, d’injustices, d’une
tourmente indicible où se devine le triste délire, Japh ne peut même se libérer
de sa prison aux barreaux d’esprit spongieux, à vrai dire assez éphémère si
l’on sait l’éternité pour laquelle Japh
fut conçu.
Pour l’instant présent, abandonnant l’ultime espérance
d’exister au péril de sa propre solitude, prévenu de cet exil volontaire qui se
perpétue irrévérencieusement par delà toute imagination, lâchant à son tour la
bride inféconde qui dirige le monde dans sa voie très particulièrement obscure,
Japh, grandeur terrible où figure l’Inexistence de la morale vétuste et
perverse, traverse majestueusement la porte close. Qui suivra dans le sillage
éblouissant la grande perquisition de l’esprit de Japh par-delà vos dimensions
fragiles, et qui pénétrera les yeux largement épanouis dans l’antichambre afin
d’en saisir à plein cœur le péage ?
A l’heure où, assemblé aux croix-potences des cimetières,
je parle et témoigne de Japh poète éperdu d’insignifiance ou d’audace recluse
dans la tombe automnale des villes, boisées quand même d’écorce grise mais non
fleurie, j’apprends la mort d’un autre poète qui dès le midi sonné a jeté dans
l’eau de la mer ses épines trop acérées, et bientôt sous les herbes bavardantes
il entretiendra son ombre traditionnelle aux contours d’argent très finement
ciselé.
Ombres plus que la terre
Dios ! hombre !
Hommes de pierre et de sel
Hommes aux larmes incantatoires
Ombres sur la terre
Je ne verrai plus s’épanouir
La flamme d’une triste victoire
Dios ! hombre !
Qui verra le soir ?
Qui verra la brume recouvrir le lac
Qui verra l’eau pure rougie de sang
Dios ! hombre ! tous êtres pensants
La nuit tombe
Et le rôle des morts
Présence fatidique
Accomplit l’histoire.
Dios ! deslumbramiento !
Où sont les poussières de Dieu ?
Tu es mon frère jusqu’à l’aurore
Tu es mon frère jusqu’à la mort
Et les pierres ne finiront pas
D’ensevelir ton corps
Hombre ! muy fuerte
Ton corps désuni s’est soudé à la terre
Tu as rejoint tous les morts
Il était là debout devant moi
Debout devant l’infini
Son sang battait chaud, rouge et chaud
L’ais-je vu absorbé par les pierres ?
L’ais-je vu vivant comme nous tous ?
L’ais-je connu si grand ?
Hombre
¿dónde está Dios?
Mon frère est enseveli
Mes yeux sont morts
Tout n’est que ruine
Où vivre encore
De guerre lasse
Dieu a fui.
Telle est la mort des poètes qu’elle laisse planer
par-dessus leur dépouille une aura qui s’étend si largement que le monde entier
en est facilement recouvert ; hélas il n’appartient qu’aux poètes, et à ceux-là
seuls, de la reconnaître en tant que telle ; toute autre interprétation
n’est que leurre de ce qui ne fut jamais réellement connu que de ceux qui en
furent les artisans. Le poète mort n’est pas innocent ; il garde pour
toujours sur sa conscience la morale qu’il sut ou ne sut pas impliquer dans le
monde dont il a eu le fardeau sur les épaules durant son passage dans la vie.
L’homme que l’on enterre là compta parmi les plus grands.
Japh toisé de l’humanité perd toute apparence de saveur
ingrate, rigide sous les coups des corps rampants de l’antichambre où il est
né ; il harangue du développement harmonieux l’insolite déploiement des
insectes éphémères d’un soir d’été.
Pour lui cet entêtement à vivre perd toute son importance lorsque paraît la fusion hautement colorée des maisons astrologiques et des traces d’éternité sillonnant encore l’espace troué et difforme, bientôt anéanti par la disparition des confins.
Pour lui cet entêtement à vivre perd toute son importance lorsque paraît la fusion hautement colorée des maisons astrologiques et des traces d’éternité sillonnant encore l’espace troué et difforme, bientôt anéanti par la disparition des confins.
ª
Je me promène très tôt ce matin sur un quai désert car on
ne peut guère donner le nom d’êtres à ce pauvre grouillement infécond de
silhouettes s’agitant au ressac d’un fleuve contre le parapet, s’ouvrant à
cette écume, disloquant et paralysant mes regards encore brumeux. Ce n’est en
aucun cas le réveil brutal de cet agent tout à l’heure dans le froid gagnant
mon corps entier, qui m’a permis de rassembler mes idées et de les ordonner en
d’intelligibles fragments.
Alors que je me penche sur l’eau qui lascivement se laisse entraîner et qui pas plus que moi ne semble se préoccuper de la durée de son parcours, de son chemin et de ce qu’il est convenu d’appeler sa destinée, une communion plus intense entre l’élément liquide et mon état d’âme, c’est-à-dire le seul moi que je connaisse, s’exerce à me précipiter dans le fleuve.
Alors que je me penche sur l’eau qui lascivement se laisse entraîner et qui pas plus que moi ne semble se préoccuper de la durée de son parcours, de son chemin et de ce qu’il est convenu d’appeler sa destinée, une communion plus intense entre l’élément liquide et mon état d’âme, c’est-à-dire le seul moi que je connaisse, s’exerce à me précipiter dans le fleuve.
Aussi mon corps horizontal maintenant, les pieds touchant
encore l’acier de la balustrade enjolivée d’épis tournoyant, rejoint dans toute
sa rigidité le cadavre de Japh que j’aperçois dans les flots.
Plusieurs jours se passèrent avant que l’agent de police
eut fini de rassembler mes idées, et perquisitionné ainsi au plus profond de
mon cerveau les mélanges de basilic et de thym qui s’y trouvaient encore
vierges.
Japh, je t’appelai dans l’émoi de ma tourmente, dans la
fièvre suspendue sur mon corps ainsi que l’auréole des saints, et je t’imaginai
assez bien remplissant la fonction de bénir pour le dieu pervers de ma jeunesse
le sacrement du mariage du policier et de sa propre éternité.
Me tendant l’hostie vénéneuse et le couperet du
sacerdoce, appelé machette par les indiens de l’Amazonie, - outil
merveilleusement sculpté représentant des scènes infernales – Japh m’appela à
le seconder lors de la bénédiction.
Alors il sortit de sa poitrine des morceaux de papier
imprimé de quelque parole sainte et, les laissant tomber sur l’autel en feu, sa
voix retentit :
Quand je verrai mon ombre
Juste ce milieu de la route qui m’entraîne loin de toi
Les caveaux m’accueilleront avant l’aube
J’aurai la liberté de baiser chaque pierre
Mon sang coulera chaud sur le sol gelé
Chaud, froid, les baisers sous les voûtes et la pierre
Tout cela je veux le voir avant le jour
Pour toi quand j’aurai perdu ma sève
Et que mes branches coupées iront rejoindre le feu
Voici le bienfait de la lumière
Qui animera ma prison
Pour toi quand je serai mort
Voici venir la vraie plainte de mon fleuve
L’eau ardente éveillera nos sens !
Je te verrai alors
Nos corps unis flotteront quelque part
Dans l’éther aventureux.
Homme des nuits permutées dans l’hidosité de la brume à
fibres subtiles, treillis d’angoisse, Japh, plus racé que le cheval du matin
montrant aux étoiles pâlies sa forte musculature, Japh aux sources épanouies et
pourtant toujours étouffées dès la naissance prématurée, Japh, que viens-tu
faire en ce siècle ?
Japh, retourne donc d’où tu viens, de ce royaume des
ombres exaltées où s’épuisera peut-être ton audace et ta jeunesse.
Pourquoi paraître ? Pourquoi élever ton ardeur
contre ce qui ne fut que traîtrise générale de ceux qui ne te ressembleront
jamais ?
Oh Japh, Japh, laisse le poète te chasser ainsi et définitivement de l’empire de la désolation stérile et de l’espoir sans lendemain !
Froide obscurité où tu m’entraînes, Japh, insoluble dans le cristal nauséabond, la pâleur flétrie de ton corps rend plus intense encore la profondeur de ton gîte.
Oh Japh, Japh, laisse le poète te chasser ainsi et définitivement de l’empire de la désolation stérile et de l’espoir sans lendemain !
Froide obscurité où tu m’entraînes, Japh, insoluble dans le cristal nauséabond, la pâleur flétrie de ton corps rend plus intense encore la profondeur de ton gîte.
ª
Jusqu’où, pour le plus grand mystère, s’élargira l’accès
de la vraie nuit, pour ceux qui, plus âpres encore dans leur esprit que dans
leur corps étendu froid déjà sous l’arbre défeuillé, se recueillent une
dernière fois avant l’envahissement aspiratoire.
Et à quoi ressembleront dans cet univers nos corps
identifiés au tien, la pierre comme maîtresse et le feu comme ennemi, avec la
lumière ?
Japh, tu prendras la peine exquise de te transformer
toi-même en reptile joyeusement purifiant au moment où, de notre ensemble, seul mon
corps célébrera la nuit.
Organe de ciel pur
Eloigné de tout lien de couleur
Avec l’absence de désert
Et, même s’il y avait des hommes
Même s’il n’y avait qu’un homme
Répondant de sa flamme au sable bruyant
La nuit resterait
Pour toujours l’ambiance indélébile
Il n’y a pas de folie pour celui
qui fuit cet espace intangible et s’acharne à rouvrir dans son corps une plaie
de laquelle s’épanche à nouveau le genre humain. Celui-là perçoit à travers le brouillard
le plus dense la perversion future qui consiste à ranimer le subtil parfum de
l’unité.
Qui donc mieux que ce visionnaire
de l’horreur d’entrevoir l’humanité robot d’elle-même peut être appelé à l’état
de grâce dans Japh, monde infini de gouffre malheureux et dénudé ?
L’indignité sublime des dieux
sait trop combien est précieuse l’homogénéisation du genre humain, et quelle
catastrophe représente en puissance le monde de la folie.
Car je le dis, Japh est le fou
divin le plus totalement dépourvu d’hallucinations mystiques, regroupant sous
l’égide flamboyant de son emblème implacable les vrais fous mes frères, fondateurs
de l’humanité voisine.
Les grands esprits
que l’on dit incurables
Ces hommes nus aux
sonnailles d’étain
Trépidants sublimes
à la parure de rois
Leurs haillons ne
sont pas cousus d’or
Leurs larmes ne
sèchent pas avant l’aube
Ces hommes à la
folie sublime
Grelottent leur
désarroi d’être seuls
Nommez leur état
selon la psychiatrie
Usez d’un langage
savant
Et longuement
réfléchi
Pour parler de ces
géants de l’esprit
Force et peine
perdue !
Ce ne sont que des
poètes
Nus, agitant leurs
sonnailles
Ou mandarins
solidaires
A la recherche
d’une chaleur humaine
Sa vie se poursuit dans sa
monotonie belliqueuse, et pas un matin ne rappelle l’odeur du soleil levant.
Mais plus tôt, dans la rue déjà
grouillante de travailleurs encore dormant, traînant leurs corps au service des
machines endiablées, une sale brume voile l’asphalte mouillée, zébrée de phares
et du bruit discordant des sirènes.
Est-ce là la victoire des grands
réformateurs sociaux, et le produit des révolutions sanglantes pour la conquête
de la liberté ?
La tristesse extrême de ces rails luisants sur lesquels trébuchent ces formes cahotantes se dirigeant toutes vers ces casernes enfumées, et je ne parle que du plus petit monde bien sûr, et la tristesse de ces immeubles aux ateliers couleur de chambre à gaz où les hommes attendent dans la même nostalgie une fin longuement désirée et pourtant subite, est-ce cela la liberté ?
La tristesse extrême de ces rails luisants sur lesquels trébuchent ces formes cahotantes se dirigeant toutes vers ces casernes enfumées, et je ne parle que du plus petit monde bien sûr, et la tristesse de ces immeubles aux ateliers couleur de chambre à gaz où les hommes attendent dans la même nostalgie une fin longuement désirée et pourtant subite, est-ce cela la liberté ?
Et pourtant aucun homme au monde
ne désire vraiment, de son plein gré, l’existence délabrée de ces parias. Car
elle ne sera jamais assez décrite, cette longue attente avec ses espoirs de
Tantale.
Car Japh annonce une aube
différente de celles dans lesquelles nous vivons, et réclame cette cohorte
chantante de poètes éducateurs, d’êtres humains connaissant à fond la limite de
leurs propres souffrances.
Le magnétisme dogmatique
disparaîtra à son tour de l’éducation perverse et rendra au seul bon sens sa valeur
édificatrice capable d’engendrer une pleine liberté.
Ils ne s’appellent d’aucun nom,
ces géants dénudés qui dépouilleront à leur tour les hommes de leurs valeurs,
c’est-à-dire de leurs chimères agonisantes qui les traînent dans la boue,
ceux-là même que l’on trouve sur le parvis des usines et celui des églises.
Japh, prince d’une nuit solitaire
imputrescible, je suis en toi malgré le vent renégat qui transforme, forme,
forme ma tête en un immense espace bouclé d’azur.
Tu mettras ton pied vif devant
mes yeux afin que le monde même cesse sa rotation et trouve ainsi l’immobilité
relative par rapport à lui-même et à son axe. O vains efforts que de vouloir
arrêter quoi que ce soit ! même la mort ne pardonne pas et l’immobilité
est alors insensible.
Japh tu parviendras, être
indélébile, à la réalisation parfaite de l’immobilité, celle produite par la
jonction définitive de mes deux corps, le binôme féminin-masculin et l’état de
folie perpétuelle.
Dans l’œil du jour où pénètre la
fétide abstention du matin prématurément éclos, empli des lumières les plus
infécondes de la surface où nous nous émouvons, se fond silencieusement la
présence amère du dieu Mouvement.
Dès lors, échappant au contrôle
exercé à chaque oscillation perverse du Temps et pénétrant au plus profond du
domaine relatif où les hommes ne sont plus que des animaux rampants totalement
dépourvus de nom, d’appellation contrôlée ou d’origine, voici que nous qui
évaporons nos sens les plus subtils nous parvenons à la dignité des grands
oubliés de la marge humaine.
Les paroles semblables à celles
du grillon lacustre, telles l’aube perçant l’espace inconsolable d’unité
perpétuelle, s’élargissent au contact de la rosée matinale chargée de fer blanc
et de rocs.
Japh est de ceux qui,
s’identifiant à perte d’imagination au soleil appelé dragon dont la tête
infinie balaie l’internité fidèle à ce qui, du point de vue infinitésimal,
professe l’absolution du domaine poétique.
Ainsi, animant de sa fonction
circonstancielle la résolution de vivre ou de ne pas vivre, il préserve de ce
fait l’entachement perpétuel du nantissement poétique de son être physique, tel
un gigantesque générateur de la vie inflammatoire.
Ici commence la
nuit
Couverte de
flamands roses
Et le brouillard
terreux
Qui ronge la peau
Mais grise l’esprit
Pluies
intermittentes
Pavillon d’opacité
nocturne
Je tourne en tous
sens
Ma vieillerie
anthropophile
Déjà, au plus
vertigineux soupir
Les fleurs de
papier voltigent
Sur ma tête
encroûtée et malade
Et bien pauvrement
l’icône maladroite
Saisit à plein feu
mes mains tremblantes
Et désigne, muette,
une tête sculptée
Déposée au pied de
l’idole
Celle-là, je ne la
reverrai pas
Ce furent de nombreuses années
plus tard que Japh m’apprit soudain sa mort différée.
Longtemps il avait dormi à l’ombre de ceux qui rêvaient à lui, allant jusqu’à épuiser toute sève et toutes forces que sa nature même ne pouvait assumer. Japh disparut à jamais le jour où le gel se fit plus profond dans la terre inféconde, et se faufila dans la grande éternité sans déranger personne. Dès lors, la lumière du monde s’éteignit et plus jamais son nom ne fut évoqué de bouche d’homme.
Il n'y a aucun changement dans les conditions précisées dans les articles précédents: même matériel, mêmes logiciels (avec beaucoup de modération), toutes les photographies dont je suis l'auteur exclusif sont originales. A noter que la première ne représente pas une sculpture, mais une roche entièrement naturelle, formée par l'érosion. Et, bien sûr, mêmes pensées aux enfants de ce monde, celui-là même que nous leur laissons dans un état nauséabond et qu'ils auront à reconstruire.
Le texte de Japh a été écrit sur plusieurs années, et terminé dans les années 1994. La sculpture en verre de Harvey Littleton a été exposée au musée Würth début 2012. Harvey K. Littleton a été l'un des pionniers aux US de l'expression artistique non figurative en verre. Né en 1922 à Corning, New York, il est le fils de l'inventeur du Pirex. Il est décédé le 13 décembre 2013. Voir: http://www.nytimes.com/2014/01/05/arts/design/harvey-k-littleton-pioneer-in-glassworks-dies-at-91.html?_r=0
Les photographies sont libres de reproduction. En cas de publication, il est nécessaire d'en indiquer l'origine. Le texte est Copyright © Claude Collet. Toute reproduction intégrale ou partielle, sous toutes ses formes, est interdite sauf accord écrit de l'auteur.
L'UNICEF vient en aide aux enfants. Vous pouvez aider l'UNICEF.
Longtemps il avait dormi à l’ombre de ceux qui rêvaient à lui, allant jusqu’à épuiser toute sève et toutes forces que sa nature même ne pouvait assumer. Japh disparut à jamais le jour où le gel se fit plus profond dans la terre inféconde, et se faufila dans la grande éternité sans déranger personne. Dès lors, la lumière du monde s’éteignit et plus jamais son nom ne fut évoqué de bouche d’homme.
Il n'y a aucun changement dans les conditions précisées dans les articles précédents: même matériel, mêmes logiciels (avec beaucoup de modération), toutes les photographies dont je suis l'auteur exclusif sont originales. A noter que la première ne représente pas une sculpture, mais une roche entièrement naturelle, formée par l'érosion. Et, bien sûr, mêmes pensées aux enfants de ce monde, celui-là même que nous leur laissons dans un état nauséabond et qu'ils auront à reconstruire.
Le texte de Japh a été écrit sur plusieurs années, et terminé dans les années 1994. La sculpture en verre de Harvey Littleton a été exposée au musée Würth début 2012. Harvey K. Littleton a été l'un des pionniers aux US de l'expression artistique non figurative en verre. Né en 1922 à Corning, New York, il est le fils de l'inventeur du Pirex. Il est décédé le 13 décembre 2013. Voir: http://www.nytimes.com/2014/01/05/arts/design/harvey-k-littleton-pioneer-in-glassworks-dies-at-91.html?_r=0
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